Affaire Mehdi Ben Barka.

«Le Mossad est bel et bien impliqué dans la disparition de mon père»

Le 29 octobre 1965, à la brasserie Lipp du boulevard Saint-Germain à Paris, Mehdi Ben Barka, figure emblématique du mouvement tiers-mondiste, pense qu’il a rendez-vous avec un producteur, un scénariste et un journaliste. En réalité, c’est avec la mort qu’il a rendez-vous. L’opposant marocain ne sait pas alors qu’il est tombé dans un guet-apens. Pris en charge par les services secrets français, il est alors embarqué vers l’inconnu. Quarante-deux ans après ce rapt, la vérité se fait toujours attendre sur les origines, et surtout les circonstances exactes de la mort de Mehdi Ben Barka. Un téléfilm et un livre récemment sortis ravivent la polémique sur une affaire d’Etat qui a failli compromettre les relations entre la France et le Maroc. Dans un entretien à la Tribune, le fils de Mehdi Ben Barka, Bachir, donne son avis sur l’ouvrage de l’écrivain israélien Shmouel Seguev, et sur le film diffusé la semaine dernière, et qui avance la piste de l’enterrement au Maroc de l’ennemi juré de Hassan II. Au passage, il n’omettra pas d’égratigner l’ancien régime marocain. Il est incontestable que Bachir Ben Barka voulait pointer du doigt le père de l’actuel roi du Maroc. Pour lui, la responsabilité de Hassan II est claire comme de l’eau de roche dans toute la procédure qui a commencé avec l’enlèvement à Paris jusqu’à son assassinat et la disparition de son corps. Oufkir et Dlimi, pour lui, ce sont de simples exécutants de ce qui fut alors une affaire d’Etat entre Rabat et Paris. Quarante-deux ans après le déclenchement de l’affaire Ben Barka, la blessure du fils est intacte, et la recherche de la vérité demeure le cheval de bataille d’une famille plus que jamais attachée aux idéaux de son illustre disparu.

M. K. D. (La Tribune)

Le fils de l’ancien opposant marocain assassiné dans des circonstances troubles revient sur les deux événements qui ont fait remonter à la surface l’«Affaire Ben Barka». A travers le livre de Shmouel Seguev, et le film récemment diffusé sur une chaîne de télévision française, Bachir Ben Barka livre son analyse, sans cacher son inépuisable désir de parvenir un jour à la vérité.

La Tribune : Quel crédit accordez-vous aux récentes révélations faites par l’écrivain israélien Shmouel Seguev ?
Bachir Ben Barka : Pour l’instant, ce n’est qu’une nouvelle version qui s’ajoute à celles déjà publiées par le passé. Dès que cela sera possible, nous allons l’examiner en détail et évaluer la validité et le sérieux des sources de cet écrivain israélien. Ce qui est important dans ses déclarations est la confirmation de l’implication des services secrets israéliens, le Mossad, dans la disparition de mon père en octobre 1965. Cette complicité entre le Mossad et les services spéciaux marocains avait été révélée déjà en 1966 par le magazine israélien Bul. La revue fut alors saisie, le journaliste auteur de l’article et le directeur de la revue furent arrêtés et mis au secret.

Etes-vous d’accord sur les accusations qu’il fait à l’encontre d’Ahmed Dlimi ?
Seul le travail approfondi de la justice pourra préciser le rôle et la responsabilité individuelle des uns et des autres. Ce qu’il ne faut pas occulter cependant est que Ahmed Dlimi et Mohamed Oufkir –chef des services spéciaux marocains et ministre de l’Intérieur– n’étaient que les exécutants d’une décision hautement politique prise au plus haut niveau du régime marocain.

Comment, selon vous, va réagir le régime marocain à cette nouvelle version ?
Aucun commentaire.

Comment, selon vous, Mehdi Ben Barka a-t-il vraiment été assassiné ?
C’est pour pouvoir répondre à ces nombreuses questions que ma famille et moi-même menons ce combat pour la vérité depuis plus de 42 ans.

Quels commentaires avez-vous à faire sur le dernier téléfilm l’Affaire Ben Barka diffusé sur France 2 ?
Indépendamment de ses qualités artistiques et techniques, ce film n’est pas «l’Affaire Ben Barka» proprement dite. A notre avis, c’est l’Affaire Ben Barka vue par les services secrets marocains. En effet, les scénaristes de ce film se sont très largement inspirés de la version colportée par l’ancien agent des services secrets marocains Ahmed Boukhari. Les différentes et contradictoires déclarations de cet agent marocain n’ont jamais été étayées par le moindre début de preuve et il n’a jamais été confronté avec la partie civile. Toute sa démarche a d’ailleurs suscité beaucoup d’interrogations et de questionnements sur les possibles manipulations dont il peut avoir été le vecteur.
Les auteurs de ce film dédouanent totalement l’ancien roi du Maroc, Hassan II, de sa responsabilité, faisant porter l’entière responsabilité du crime à Mohamed Oufkir et à Ahmed Dlimi. Les auteurs du téléfilm n’ont pas hésité à travestir la réalité historique en occultant les nombreuses raisons politiques profondes ayant amené à l’élimination du principal opposant au régime marocain et l’un des porteurs des aspirations des peuples du tiers monde et du Sud, à savoir,
mon père. De plus, en accréditant la thèse d’Ahmed Boukhari de la dissolution du corps de Mehdi Ben Barka dans une cuve d’acide, les auteurs du film laissent penser qu’en fin de compte, il n’y a plus rien à chercher. Je pense que le public est ainsi trompé.

Entretien réalisé par Mohamed Khaled Drareni