Islam light :un produit qui se vend bien.
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Islam light :un produit qui se vend bien.
1ère partie : les hommes
On les entend, on les voit et on les lit partout : à la radio, à la télévision, dans les journaux et dans les conférences standing. Leurs livres se vendent à des milliers d’exemplaires dans les rayons des supermarchés. En quelques années, ils sont devenus les « chouchous musulmans » des médias et des intellectuels français. Le secret de cette fulgurante réussite médiatique et commerciale ? Un discours formaté sur la « déchéance » et la « maladie de l’islam », religion noble qui aurait été corrompue par la « populace musulmane » ignorante et obscurantiste.
Se présentant comme les « nouvelles Lumières de l’Islam », ils développent une vision élitiste et méprisante à l’égard des musulmans croyants et pratiquants, identifiés souvent comme de « mauvais musulmans ». Mais à y regarder de plus près, leur discours « éclairé » rejoint sur de nombreux points celui des Salafistes les plus fondamentalistes : la défense d’une cité musulmane idéale et totalement imaginaire (elle n’existe que dans leur tête), à la seule différence près que la cité idéale des Muslims Light n’est pas Médine mais la cité coloniale, celle de l’islam domestiqué et des musulmans dominés.
On les entend, on les voit et on les lit partout : à la radio, à la télévision, dans les journaux et dans les conférences standing. Leurs livres se vendent à des milliers d’exemplaires dans les rayons des supermarchés. En quelques années, ils sont devenus les « chouchous musulmans » des médias et des intellectuels français. Le secret de cette fulgurante réussite médiatique et commerciale ? Un discours formaté sur la « déchéance » et la « maladie de l’islam », religion noble qui aurait été corrompue par la « populace musulmane » ignorante et obscurantiste.
Se présentant comme les « nouvelles Lumières de l’Islam », ils développent une vision élitiste et méprisante à l’égard des musulmans croyants et pratiquants, identifiés souvent comme de « mauvais musulmans ». Mais à y regarder de plus près, leur discours « éclairé » rejoint sur de nombreux points celui des Salafistes les plus fondamentalistes : la défense d’une cité musulmane idéale et totalement imaginaire (elle n’existe que dans leur tête), à la seule différence près que la cité idéale des Muslims Light n’est pas Médine mais la cité coloniale, celle de l’islam domestiqué et des musulmans dominés.
Dernière édition par le Lun 11 Fév - 13:18, édité 3 fois
Le mépris de la « masse musulmane » : les racines coloniales
Contrairement à une idée reçue, ces « nouvelles Lumières de l’Islam » n’ont rien inventé : elles reprennent dans ses grandes lignes la critique coloniale de la religion musulmane, telle qu’elle était véhiculée par certaines élites indigènes assimilées qui voulaient à tout prix marquer leur détachement par rapport à leur « communauté d’origine ».
Ainsi, les Abdelwahab Meddeb[1], Malek Chebel[2], Fethi Benslama[3] ou, encore, le nouveau-né de ces « réformateurs éclairés », Abdennour Bidar[4], doivent-ils moins être considérés comme des innovateurs musulmans que comme des continuateurs, des suiveurs et des héritiers d’une critique « interne » à l’islam qui a connu son apogée durant la période coloniale et, plus particulièrement, en Algérie française.
En effet, dans le contexte colonial algérien, une minorité d’élites musulmanes reproduisaient in extenso les thèses en vogue sur le « retard musulman » et entendaient œuvrer à une réforme profonde de leur religion, afin qu’elle s’adapte aux exigences de la modernité laïque et républicaine.
Sur ce plan, on peut noter que la critique « interne » de l’islam a toujours été étroitement liée aux enjeux traversant la société française et ses thèmes fétiches (le fanatisme, l’obscurantisme, l’ignorance de la « masse musulmane »…) fortement dépendants du champ intellectuel dominant, comme si cette critique répondait moins à une volonté de réformer l’islam de l’intérieur que de donner des gages de « conformité » au discours ambiant.
Ces « nouveaux Voltaire de l’islam » sont moins valorisés dans leur fonction d’imagination ou d’innovation doctrinale que dans celle d’auxiliaires et de soutiens à la critique anti-musulmane des « intellectuels légitimes » (Redeker, Declerck, Dantec, Val…) - tous non musulmans d’ailleurs -, se coupant ainsi de toute possibilité de relations étroites avec les milieux musulmans croyants et/ou pratiquants et surtout de toute capacité à entreprendre une véritable réforme de l’islam dans l’avenir.
En somme, critiquer les musulmans pour ces « réformateurs » d’hier et ces « nouvelles Lumières » d’aujourd’hui (Meddeb, Chebel, Bidar et compagnie), c’est moins parler aux « siens » que de donner des gages et des signes de « bonne conduite » aux acteurs dominants (les élites politiques, les médias, les intellectuels habitués des plateaux TV), renvoyant en cela à un phénomène de mythification, finement analysé par l’écrivain Albert Memmi dans son Portrait du colonisé :
« Confronté en constance avec cette image de lui-même, proposée, imposée dans les institutions comme dans le contact humain, comment n’y réagirait-il pas ? Elle ne peut lui demeurer indifférente et plaquée sur lui de l’extérieur, comme une insulte qui vole dans le vent. Il finit par la reconnaître, tel un sobriquet détesté mais devenu un signal familier. L’accusation le trouble, l’inquiète d’autant plus qu’il admire et craint son puissant accusateur. N’a-t-il un peu raison ? murmure-t-il. Ne sommes-nous pas tout de même un peu coupables ? Paresseux, puisque nous avons d’oisifs ? Timorés, puisque nous nous laissons opprimer ? […] Ce mécanisme n’est pas inconnu : c’est une mystification »[5].
Au risque de choquer, il faut le dire et le répéter : il existe bien un « complexe du colonisé » chez ces « nouvelles Lumières de l’Islam » qui se traduit par une tendance pathétique à affirmer : Je suis musulman mais je n’ai rien à voir avec cette masse musulmane ignorante. Complexe du colonisé réactualisé en ce début de XXIe siècle et qui frappe même certains « convertis » ou enfants de « convertis » qui, en définitive, assument mal leur statut de « musulmans » et finissent par surenchérir sur leur « modernité musulmane » et sur leur « islam intérieur » (self Islam), opposé à l’archaïsme et à l’islam ostensible de la majorité.
Il faut y voir ici l’une des conséquences paradoxales des nombreuses campagnes islamophobes : il y a ceux qui résistent en se renforçant dans leur foi et leurs convictions ; il y a ceux qui craquent. A certains égards, ces « nouvelles Lumières de l’Islam » sont aussi des « victimes » de l’islamophobie ambiante. Mais une position de « victimes » qui, dans leur cas précis, peut rapporter gros.
Ainsi, les Abdelwahab Meddeb[1], Malek Chebel[2], Fethi Benslama[3] ou, encore, le nouveau-né de ces « réformateurs éclairés », Abdennour Bidar[4], doivent-ils moins être considérés comme des innovateurs musulmans que comme des continuateurs, des suiveurs et des héritiers d’une critique « interne » à l’islam qui a connu son apogée durant la période coloniale et, plus particulièrement, en Algérie française.
En effet, dans le contexte colonial algérien, une minorité d’élites musulmanes reproduisaient in extenso les thèses en vogue sur le « retard musulman » et entendaient œuvrer à une réforme profonde de leur religion, afin qu’elle s’adapte aux exigences de la modernité laïque et républicaine.
Sur ce plan, on peut noter que la critique « interne » de l’islam a toujours été étroitement liée aux enjeux traversant la société française et ses thèmes fétiches (le fanatisme, l’obscurantisme, l’ignorance de la « masse musulmane »…) fortement dépendants du champ intellectuel dominant, comme si cette critique répondait moins à une volonté de réformer l’islam de l’intérieur que de donner des gages de « conformité » au discours ambiant.
Ces « nouveaux Voltaire de l’islam » sont moins valorisés dans leur fonction d’imagination ou d’innovation doctrinale que dans celle d’auxiliaires et de soutiens à la critique anti-musulmane des « intellectuels légitimes » (Redeker, Declerck, Dantec, Val…) - tous non musulmans d’ailleurs -, se coupant ainsi de toute possibilité de relations étroites avec les milieux musulmans croyants et/ou pratiquants et surtout de toute capacité à entreprendre une véritable réforme de l’islam dans l’avenir.
En somme, critiquer les musulmans pour ces « réformateurs » d’hier et ces « nouvelles Lumières » d’aujourd’hui (Meddeb, Chebel, Bidar et compagnie), c’est moins parler aux « siens » que de donner des gages et des signes de « bonne conduite » aux acteurs dominants (les élites politiques, les médias, les intellectuels habitués des plateaux TV), renvoyant en cela à un phénomène de mythification, finement analysé par l’écrivain Albert Memmi dans son Portrait du colonisé :
« Confronté en constance avec cette image de lui-même, proposée, imposée dans les institutions comme dans le contact humain, comment n’y réagirait-il pas ? Elle ne peut lui demeurer indifférente et plaquée sur lui de l’extérieur, comme une insulte qui vole dans le vent. Il finit par la reconnaître, tel un sobriquet détesté mais devenu un signal familier. L’accusation le trouble, l’inquiète d’autant plus qu’il admire et craint son puissant accusateur. N’a-t-il un peu raison ? murmure-t-il. Ne sommes-nous pas tout de même un peu coupables ? Paresseux, puisque nous avons d’oisifs ? Timorés, puisque nous nous laissons opprimer ? […] Ce mécanisme n’est pas inconnu : c’est une mystification »[5].
Au risque de choquer, il faut le dire et le répéter : il existe bien un « complexe du colonisé » chez ces « nouvelles Lumières de l’Islam » qui se traduit par une tendance pathétique à affirmer : Je suis musulman mais je n’ai rien à voir avec cette masse musulmane ignorante. Complexe du colonisé réactualisé en ce début de XXIe siècle et qui frappe même certains « convertis » ou enfants de « convertis » qui, en définitive, assument mal leur statut de « musulmans » et finissent par surenchérir sur leur « modernité musulmane » et sur leur « islam intérieur » (self Islam), opposé à l’archaïsme et à l’islam ostensible de la majorité.
Il faut y voir ici l’une des conséquences paradoxales des nombreuses campagnes islamophobes : il y a ceux qui résistent en se renforçant dans leur foi et leurs convictions ; il y a ceux qui craquent. A certains égards, ces « nouvelles Lumières de l’Islam » sont aussi des « victimes » de l’islamophobie ambiante. Mais une position de « victimes » qui, dans leur cas précis, peut rapporter gros.
Un produit commercial, un rêve inassouvi :
promouvoir un islam sans musulmans
Depuis cinq ou six ans (le 11 septembre est passé par là), l’on voit fleurir dans les rayons de nos librairies et de nos supermarchés de nombreux essais critiques sur l’islam, l’islamisme, les musulmans…, dont les auteurs sont presque toujours des intellectuels franco-maghrébins, formés dans les deux « cultures » et les deux langues (français/arabe), véhiculant une vision nostalgique et mélancolique d’un modèle éducatif propre à certaines élites maghrébines.
Parmi eux, des auteurs tels que Abdelwahab Meddeb, Fethi Benslama, Malek Chebel…, qui sont sans aucun doute les auteurs les plus représentatifs de cette « nouvelle vague » de l’Islam light et sont désormais omniprésents dans le débat politico-médiatique.
Leurs écrits ne cessent de louer cet « islam des Lumières » de leur enfance et leur adolescence (le Maghreb colonial des années 1950-1960), qui serait aujourd’hui emporté par la « vague intégriste ». Dans son best-seller, La Maladie de l’islam, Abdelwahab Meddeb se livre ainsi à un véritable hymne à la Tunisie sous le Protectorat français, qui rappelons-le quand même, était fondé sur un régime de domination coloniale qui n’avait rien à envier à l’Algérie :
« Il faut le reconnaître le modèle européen dans lequel j’ai grandi, celui qui émane des Lumières françaises et qui m’a formé, à travers un enseignement franco-arabe, n’est plus attractif. […] J’ai assisté dans mon enfance (dans les années 1950), dans cette citadelle de l’islam qu’est la médina de Tunis, au dévoilement des femmes au nom de l’occidentalisation et de la modernité ; cela a concerné les femmes, les filles et les sœurs des docteurs de la Loi qui tenaient chaire dans la millénaire université théologique de la Zitouna (une des trois plus importantes de l’islam sunnite…) »[6]. (A. Meddeb, La maladie de l’islam, p. 43).
Cette célébration de « l’islam des Lumières » (en réalité un islam imaginaire) évoque parfois les accents fortement assimilationnistes de certaines élites indigènes profrançaises pendant la période coloniale. Abdelwahab Meddeb n’hésite pas à se réclamer ouvertement du penseur nationaliste Ernest Renan, lui pardonnant au passage son racisme antisémite :
« [….] Je lui [à Renan] pardonne son racisme, sa vision essentialiste des langues et des systèmes symboliques, sa hiérarchie entre les expressions et les imaginaires…car il m’a aussi aidé à comprendre la chimère que représentent le panarabisme comme le panislamisme. Son opuscule Qu’est-ce qu’une nation ? m’a rappelé que la nation n’est fondée ni sur l’unité linguistique, ni sur la communauté de la foi, ni sur la continuité géographique, ni sur le langage de l’histoire.
Elle l’est sur le seul désir d’être ensemble. C’est ce désir qui m’a fait choisir la communauté française, où mon nom étranger se décline dans l’amputation sonore, où je continue d’entretenir ma généalogie islamique et la croiser avec mon autre généalogie européenne. Ainsi l’hérité et le choisi se combinent à l’intérieur d’un seul et même être… ». (A. Meddeb, La maladie de l’islam, p. 220-221).
Cette idéalisation du nationalisme européen et de l’islam colonial est bien sûr inséparable d’une tendance au sado-masochisme propre à l’esprit colonisé. Mais ce qui paraît grave, c’est que ce complexe du colonisé semble quasiment intact en ce début de XXIe siècle et qu’il aboutit à légitimer une vision caricaturale des croyants et des pratiquants musulmans, comme si ces derniers avaient tous cédé au fanatisme et à l’obscurantisme. Cette vision totalement simpliste est appliquée autant aux sociétés dites « arabo-musulmanes », qu’aux « banlieues de l’islam » de France. Le psychanalyste franco-tunisien Fethi Benslama écrit ainsi :
« Face à la terreur du nom [Islam = soumission] et à la hantise de sa trahison que l’idéologie islamiste diffuse dans la jeunesse, il s’agit ici de reprendre le travail de l’écart entre le nom et l’essence, celui-là même qui fut à l’œuvre chez les penseurs de la liberté dans la civilisation islamique (Avicenne, Averroès, Ibn Arabî, etc.) ou celle des Lumières européennes, puisque tel est l’un des sens du travail de la culture ». (F. Benslama, Déclaration d’insoumission à l’usage des musulmans et de ceux qui ne le sont pas, p. 30).
En deux mots, l’islam noble, l’islam des élites, l’islam d’antan, est aujourd’hui corrompu par les croyants ordinaires, ceux-là mêmes qui portent barbes et hijab, ceux-là mêmes qui fréquentent les mosquées, ceux-là mêmes qui égorgent rituellement leurs moutons dans la baignoire de leur HLM :
« D’aristocratique, le sujet islamique devient peu à peu l’homme du ressentiment, cet homme frustré, insatisfait, se pensant au-dessus des conditions qui lui sont faites ; comme tout semi-intellectuel, il s’avère (dans ses refus et sa haine accumulés) candidat à la vengeance, prédisposé à l’action insurrectionnelle et à ce qu’elle comporte de dissimulation et de sacrifice ». (A. Meddeb, La maladie de l’islam, p. 22).
Depuis cinq ou six ans (le 11 septembre est passé par là), l’on voit fleurir dans les rayons de nos librairies et de nos supermarchés de nombreux essais critiques sur l’islam, l’islamisme, les musulmans…, dont les auteurs sont presque toujours des intellectuels franco-maghrébins, formés dans les deux « cultures » et les deux langues (français/arabe), véhiculant une vision nostalgique et mélancolique d’un modèle éducatif propre à certaines élites maghrébines.
Parmi eux, des auteurs tels que Abdelwahab Meddeb, Fethi Benslama, Malek Chebel…, qui sont sans aucun doute les auteurs les plus représentatifs de cette « nouvelle vague » de l’Islam light et sont désormais omniprésents dans le débat politico-médiatique.
Leurs écrits ne cessent de louer cet « islam des Lumières » de leur enfance et leur adolescence (le Maghreb colonial des années 1950-1960), qui serait aujourd’hui emporté par la « vague intégriste ». Dans son best-seller, La Maladie de l’islam, Abdelwahab Meddeb se livre ainsi à un véritable hymne à la Tunisie sous le Protectorat français, qui rappelons-le quand même, était fondé sur un régime de domination coloniale qui n’avait rien à envier à l’Algérie :
« Il faut le reconnaître le modèle européen dans lequel j’ai grandi, celui qui émane des Lumières françaises et qui m’a formé, à travers un enseignement franco-arabe, n’est plus attractif. […] J’ai assisté dans mon enfance (dans les années 1950), dans cette citadelle de l’islam qu’est la médina de Tunis, au dévoilement des femmes au nom de l’occidentalisation et de la modernité ; cela a concerné les femmes, les filles et les sœurs des docteurs de la Loi qui tenaient chaire dans la millénaire université théologique de la Zitouna (une des trois plus importantes de l’islam sunnite…) »[6]. (A. Meddeb, La maladie de l’islam, p. 43).
Cette célébration de « l’islam des Lumières » (en réalité un islam imaginaire) évoque parfois les accents fortement assimilationnistes de certaines élites indigènes profrançaises pendant la période coloniale. Abdelwahab Meddeb n’hésite pas à se réclamer ouvertement du penseur nationaliste Ernest Renan, lui pardonnant au passage son racisme antisémite :
« [….] Je lui [à Renan] pardonne son racisme, sa vision essentialiste des langues et des systèmes symboliques, sa hiérarchie entre les expressions et les imaginaires…car il m’a aussi aidé à comprendre la chimère que représentent le panarabisme comme le panislamisme. Son opuscule Qu’est-ce qu’une nation ? m’a rappelé que la nation n’est fondée ni sur l’unité linguistique, ni sur la communauté de la foi, ni sur la continuité géographique, ni sur le langage de l’histoire.
Elle l’est sur le seul désir d’être ensemble. C’est ce désir qui m’a fait choisir la communauté française, où mon nom étranger se décline dans l’amputation sonore, où je continue d’entretenir ma généalogie islamique et la croiser avec mon autre généalogie européenne. Ainsi l’hérité et le choisi se combinent à l’intérieur d’un seul et même être… ». (A. Meddeb, La maladie de l’islam, p. 220-221).
Cette idéalisation du nationalisme européen et de l’islam colonial est bien sûr inséparable d’une tendance au sado-masochisme propre à l’esprit colonisé. Mais ce qui paraît grave, c’est que ce complexe du colonisé semble quasiment intact en ce début de XXIe siècle et qu’il aboutit à légitimer une vision caricaturale des croyants et des pratiquants musulmans, comme si ces derniers avaient tous cédé au fanatisme et à l’obscurantisme. Cette vision totalement simpliste est appliquée autant aux sociétés dites « arabo-musulmanes », qu’aux « banlieues de l’islam » de France. Le psychanalyste franco-tunisien Fethi Benslama écrit ainsi :
« Face à la terreur du nom [Islam = soumission] et à la hantise de sa trahison que l’idéologie islamiste diffuse dans la jeunesse, il s’agit ici de reprendre le travail de l’écart entre le nom et l’essence, celui-là même qui fut à l’œuvre chez les penseurs de la liberté dans la civilisation islamique (Avicenne, Averroès, Ibn Arabî, etc.) ou celle des Lumières européennes, puisque tel est l’un des sens du travail de la culture ». (F. Benslama, Déclaration d’insoumission à l’usage des musulmans et de ceux qui ne le sont pas, p. 30).
En deux mots, l’islam noble, l’islam des élites, l’islam d’antan, est aujourd’hui corrompu par les croyants ordinaires, ceux-là mêmes qui portent barbes et hijab, ceux-là mêmes qui fréquentent les mosquées, ceux-là mêmes qui égorgent rituellement leurs moutons dans la baignoire de leur HLM :
« D’aristocratique, le sujet islamique devient peu à peu l’homme du ressentiment, cet homme frustré, insatisfait, se pensant au-dessus des conditions qui lui sont faites ; comme tout semi-intellectuel, il s’avère (dans ses refus et sa haine accumulés) candidat à la vengeance, prédisposé à l’action insurrectionnelle et à ce qu’elle comporte de dissimulation et de sacrifice ». (A. Meddeb, La maladie de l’islam, p. 22).
Maladie de l’islam ou maladie de Ben Ali ?
Bien sûr, comme le relevait très justement Tariq Ramadan dans l’émission « Ce soir ou jamais », diffusée sur France 3 le 30 janvier 2008, ces « nouvelles Lumières de l’Islam », ne disent généralement pas un mot sur la responsabilité politique des régimes autoritaires, sur les pratiques répressives, sur la corruption généralisée des élites gouvernementales.
Abdelwahab Meddeb décrit dans ses différents ouvrages « La maladie de l’islam » mais il n’a jamais écrit un seul mot sur « La maladie de Ben Ali », les centaines de femmes violées dans les commissariats de police, les journalistes agressés, les milliers de jeunes tunisiens poussés à risquer leur vie sur les barques de la mort. Un silence total sur les « raisons politiques » de la dérive dictatoriale du monde arabe qui parle de lui-même. La dictature, c’est la faute aux musulmans, mais jamais aux dictateurs !
Les nouvelles « Lumières » de l’islam : des Salafistes qui s’ignorent
Toutefois, le principal reproche intellectuel que l’on peut adresser à ces « nouveaux penseurs de l’Islam light » (Abdelawahab Meddeb, Fethi Benslama, Malek Chebel et, aujourd’hui, Abdennour Bidar), c’est finalement de répondre au processus d’idéalisation identitaire des Salafistes (la citée idéale de Médine des débuts de l’islam) par une autre idéalisation toute aussi mythique (la cité musulmane aristocratique du Moyen Âge ou, pire, la cité coloniale franco-arabe), s’exposant par là à n’avoir aucune prise sur l’évolution sociologique de l’islam actuel et sur les « musulmans réels ».
A l’idéalisme salafiste et wahhabite, ces « nouveaux penseurs » opposent un idéalisme élitiste et intellectualiste qui conforte à son tour, comme le relève fort pertinemment l’historienne Sylvie Denoix[7], une vision à la fois essentialiste et quasi-génétique de l’islam, d’où d’ailleurs la référence récurrente à la maladie, comme si la religion musulmane était un « corps biologique ».
Des médecins à la Molière…
Or, l’islam de France n’a pas besoin de « médecins à la Molière » qui viendraient guérir les musulmans d’une « maladie » prétendument incurable : la foi en Allah. Il a d’abord besoin de penseurs et de réformateurs, en phase avec la vie quotidienne des croyants et des pratiquants ordinaires.
Et le principal problème que soulève cet engouement médiatique et commercial pour l’Islam light, ce n’est pas seulement sa méconnaissance totale des réalités musulmanes françaises ou européennes mais aussi sa volonté de promouvoir un islam sans musulmans, en deux mots : Vive l’islam épuré des ses croyants et de ses pratiquants ! Un islam sans bruit et sans odeur en quelque sorte !
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[1] Abelwahab Meddeb, La maladie de l’islam, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 2002.
[2] Malek Chebel, Manifeste pour un islam des Lumières, Paris, Hachette Littératures, 2004.
[3] Fethi Benslama, Déclaration d’insoumission à l’usage des musulmans et de ceux qui ne le sont pas, Paris, Flammarion, 2005.
[4] Abdennour Bidar, Self islam, Paris, Seuil, 2006.
[5] Albert Memmi, Portrait du colonisé. Portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, coll. « Folio actuel », 1985, p. 106-107.
[6] Abelwahab Meddeb, La maladie de l’islam, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 2002, p. 43.
[7] Sylvie Denoix, « Compte rendu » de l’ouvrage d’Abdelwahab Meddeb : La maladie de l’islam, REMMM, n° 101-102, 2003.
Abdelwahab Meddeb décrit dans ses différents ouvrages « La maladie de l’islam » mais il n’a jamais écrit un seul mot sur « La maladie de Ben Ali », les centaines de femmes violées dans les commissariats de police, les journalistes agressés, les milliers de jeunes tunisiens poussés à risquer leur vie sur les barques de la mort. Un silence total sur les « raisons politiques » de la dérive dictatoriale du monde arabe qui parle de lui-même. La dictature, c’est la faute aux musulmans, mais jamais aux dictateurs !
Les nouvelles « Lumières » de l’islam : des Salafistes qui s’ignorent
Toutefois, le principal reproche intellectuel que l’on peut adresser à ces « nouveaux penseurs de l’Islam light » (Abdelawahab Meddeb, Fethi Benslama, Malek Chebel et, aujourd’hui, Abdennour Bidar), c’est finalement de répondre au processus d’idéalisation identitaire des Salafistes (la citée idéale de Médine des débuts de l’islam) par une autre idéalisation toute aussi mythique (la cité musulmane aristocratique du Moyen Âge ou, pire, la cité coloniale franco-arabe), s’exposant par là à n’avoir aucune prise sur l’évolution sociologique de l’islam actuel et sur les « musulmans réels ».
A l’idéalisme salafiste et wahhabite, ces « nouveaux penseurs » opposent un idéalisme élitiste et intellectualiste qui conforte à son tour, comme le relève fort pertinemment l’historienne Sylvie Denoix[7], une vision à la fois essentialiste et quasi-génétique de l’islam, d’où d’ailleurs la référence récurrente à la maladie, comme si la religion musulmane était un « corps biologique ».
Des médecins à la Molière…
Or, l’islam de France n’a pas besoin de « médecins à la Molière » qui viendraient guérir les musulmans d’une « maladie » prétendument incurable : la foi en Allah. Il a d’abord besoin de penseurs et de réformateurs, en phase avec la vie quotidienne des croyants et des pratiquants ordinaires.
Et le principal problème que soulève cet engouement médiatique et commercial pour l’Islam light, ce n’est pas seulement sa méconnaissance totale des réalités musulmanes françaises ou européennes mais aussi sa volonté de promouvoir un islam sans musulmans, en deux mots : Vive l’islam épuré des ses croyants et de ses pratiquants ! Un islam sans bruit et sans odeur en quelque sorte !
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[1] Abelwahab Meddeb, La maladie de l’islam, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 2002.
[2] Malek Chebel, Manifeste pour un islam des Lumières, Paris, Hachette Littératures, 2004.
[3] Fethi Benslama, Déclaration d’insoumission à l’usage des musulmans et de ceux qui ne le sont pas, Paris, Flammarion, 2005.
[4] Abdennour Bidar, Self islam, Paris, Seuil, 2006.
[5] Albert Memmi, Portrait du colonisé. Portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, coll. « Folio actuel », 1985, p. 106-107.
[6] Abelwahab Meddeb, La maladie de l’islam, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 2002, p. 43.
[7] Sylvie Denoix, « Compte rendu » de l’ouvrage d’Abdelwahab Meddeb : La maladie de l’islam, REMMM, n° 101-102, 2003.
Les poupées Barbie de l’Islam light :
exhibitionnisme et érotisme victimaires
2ème partie : les femmes
Elles sont présentées dans les médias et les forums branchés comme des « musulmanes émancipées », héroïnes de la lutte contre le patriarcalisme, le machisme et la violence quasi-génétique des « mâles musulmans ». Elles font figure de « Jeanne d’Arc des temps modernes », avec une pointe d’exotisme. Mais, contrairement à leurs collègues masculins (Meddeb, Chebel, Bidar..), on n’exige pas de ces « Cosette musulmanes » de tenir un discours raisonné et argumenté face aux dits « intégristes » mais d’être simplement les actrices passives d’une mise en scène émotionnelle et passionnelle, exhibant leur histoire intime devant des millions de téléspectateurs.
C’est tout le paradoxe de ce « nouveau féminisme de l’émotion » : il se fonde sur une division profondément sexiste des rôles ; aux hommes, le discours rationnel, aux femmes l’exhibitionnisme télévisuel, jouant sur une forme d’érotisme malsain.
Toutefois, cet exhibitionnisme exotique a connu une profonde évolution ces vingt dernières années, amplifiant la gestion à la fois sexiste et quasi-commerciale de la représentation médiatique de la « femme musulmane ». Aux « héroïnes algériennes » des années 1980-1990 qui, pour certaines étaient de véritables féministes engagées, on a substitué de « nouvelles féministes orientales » plus « esthétiques », plus « sexy » et surtout plus conformes aux standards audiovisuels, favorisant ainsi une forme d’érotisation du témoignage compassionnel.
En effet, ces nouvelles martyres de l’islam(isme) ne sont plus sollicitées pour leurs expériences de résistantes et de combattantes mais d’abord pour leur capacité à mettre en scène un érotisme victimaire, censé frappé efficacement l’esprit des téléspectateurs.
2ème partie : les femmes
Elles sont présentées dans les médias et les forums branchés comme des « musulmanes émancipées », héroïnes de la lutte contre le patriarcalisme, le machisme et la violence quasi-génétique des « mâles musulmans ». Elles font figure de « Jeanne d’Arc des temps modernes », avec une pointe d’exotisme. Mais, contrairement à leurs collègues masculins (Meddeb, Chebel, Bidar..), on n’exige pas de ces « Cosette musulmanes » de tenir un discours raisonné et argumenté face aux dits « intégristes » mais d’être simplement les actrices passives d’une mise en scène émotionnelle et passionnelle, exhibant leur histoire intime devant des millions de téléspectateurs.
C’est tout le paradoxe de ce « nouveau féminisme de l’émotion » : il se fonde sur une division profondément sexiste des rôles ; aux hommes, le discours rationnel, aux femmes l’exhibitionnisme télévisuel, jouant sur une forme d’érotisme malsain.
Toutefois, cet exhibitionnisme exotique a connu une profonde évolution ces vingt dernières années, amplifiant la gestion à la fois sexiste et quasi-commerciale de la représentation médiatique de la « femme musulmane ». Aux « héroïnes algériennes » des années 1980-1990 qui, pour certaines étaient de véritables féministes engagées, on a substitué de « nouvelles féministes orientales » plus « esthétiques », plus « sexy » et surtout plus conformes aux standards audiovisuels, favorisant ainsi une forme d’érotisation du témoignage compassionnel.
En effet, ces nouvelles martyres de l’islam(isme) ne sont plus sollicitées pour leurs expériences de résistantes et de combattantes mais d’abord pour leur capacité à mettre en scène un érotisme victimaire, censé frappé efficacement l’esprit des téléspectateurs.
Dernière édition par le Lun 11 Fév - 13:21, édité 1 fois
Emanciper la « femme musulmane »
pour elle-même ou contre elle-même : un vieux rêve d’homme blanc
Dès le XIXe siècle, la question de la « femme musulmane » a occupé une place centrale dans l’idéologie émancipatrice française, notamment dans sa version dite « progressiste », renvoyant à l’idée que la réforme de l’islam passerait d’abord par une libération de la musulmane supposée soumise (la Fatma, la Moukère, la Houra…) à l’obscurantisme et au patriarcat des « mâles arabo-musulmans »[1].
De ce fait, la critique « républicaine » de l’islam s’est toujours attachée à mettre en scène des « femmes musulmanes », comme actrices passives ou actives de leur propre émancipation sous des registres multiples : vestimentaire (le dévoilement), matériel (l’hygiène de la maison), social (la visibilité dans les lieux publics), culturel (l’adhésion aux valeurs universalistes) et bien sûr religieux (l’abandon total ou partiel de sa religion).
L’historien Ahmed Koulakssis rappelle ainsi que, dès les années 1930 (et oui déjà !), « la femme victime de la religion musulmane » est un thème dominant de la rhétorique socialiste française, notamment chez les « Vieux barons » de la SFIO : « la polygamie est leur argument favori à chaque fois qu’il est question de réformes. Outre qu’il leur permet de mêler habilement droit et morale, c’est pour eux l’occasion la plus appropriée, tant au défoulement égalitariste ( !) qu’au discours suffisant et de bonne conscience sur le statut d’infériorité fait à la femme en société musulmane »[2].
Ce thème de l’émancipation de la femme musulmane s’est manifesté avec d’autant plus de force dans le complexe franco-algérien, parce qu’il était enserré dans une histoire partagée et douloureuse (la colonisation, la guerre d’Algérie, la relation franco-algérienne après l’indépendance et, plus récemment, le conflit sanglant des années 1990-2000).
De ce fait, les récents événements d’Algérie et surtout la peur de la « contagion islamiste » sur le territoire français et dans les « banlieues de l’islam » (« Les islamistes sont déjà là »[3], n’est-ce pas ?) n’ont fait que réactiver ce mythe de l’émancipation féminine, comme élément structurant de notre imaginaire national : les héros de la critique de l’islam(isme) ont d’abord été des héroïnes, parce que ce sont, elles, précisément qui étaient supposées être les premières victimes de l’obscurantisme musulman.
Dès le XIXe siècle, la question de la « femme musulmane » a occupé une place centrale dans l’idéologie émancipatrice française, notamment dans sa version dite « progressiste », renvoyant à l’idée que la réforme de l’islam passerait d’abord par une libération de la musulmane supposée soumise (la Fatma, la Moukère, la Houra…) à l’obscurantisme et au patriarcat des « mâles arabo-musulmans »[1].
De ce fait, la critique « républicaine » de l’islam s’est toujours attachée à mettre en scène des « femmes musulmanes », comme actrices passives ou actives de leur propre émancipation sous des registres multiples : vestimentaire (le dévoilement), matériel (l’hygiène de la maison), social (la visibilité dans les lieux publics), culturel (l’adhésion aux valeurs universalistes) et bien sûr religieux (l’abandon total ou partiel de sa religion).
L’historien Ahmed Koulakssis rappelle ainsi que, dès les années 1930 (et oui déjà !), « la femme victime de la religion musulmane » est un thème dominant de la rhétorique socialiste française, notamment chez les « Vieux barons » de la SFIO : « la polygamie est leur argument favori à chaque fois qu’il est question de réformes. Outre qu’il leur permet de mêler habilement droit et morale, c’est pour eux l’occasion la plus appropriée, tant au défoulement égalitariste ( !) qu’au discours suffisant et de bonne conscience sur le statut d’infériorité fait à la femme en société musulmane »[2].
Ce thème de l’émancipation de la femme musulmane s’est manifesté avec d’autant plus de force dans le complexe franco-algérien, parce qu’il était enserré dans une histoire partagée et douloureuse (la colonisation, la guerre d’Algérie, la relation franco-algérienne après l’indépendance et, plus récemment, le conflit sanglant des années 1990-2000).
De ce fait, les récents événements d’Algérie et surtout la peur de la « contagion islamiste » sur le territoire français et dans les « banlieues de l’islam » (« Les islamistes sont déjà là »[3], n’est-ce pas ?) n’ont fait que réactiver ce mythe de l’émancipation féminine, comme élément structurant de notre imaginaire national : les héros de la critique de l’islam(isme) ont d’abord été des héroïnes, parce que ce sont, elles, précisément qui étaient supposées être les premières victimes de l’obscurantisme musulman.
Dernière édition par le Lun 11 Fév - 13:25, édité 1 fois
De la surexposition médiatique...
...à la mise à la retraite forcée des « féministes algériennes »
Parmi elles, les écrivaines et essayistes Latifa Ben Mansour[4], Malika Mokeddem[5] ou Khalida Messaoudi (actuelle ministre de la culture en Algérie)[6] sont devenues, à l’horizon des années 1990, les figures emblématiques de cette « nouvelle » résistance franco-algérienne à la tentation obscurantiste. Désormais, les victimes ne sont plus silencieuses : elles prennent la parole et surtout elles écrivent pour dénoncer la « dérive fondamentaliste », sans jamais pour autant verser dans l’islamophobie haineuse.
Toutefois, leur discours n’est pas sans effet sur les consciences françaises effrayées par le spectre d’une infiltration islamiste dans le corps national. Prises dans un jeu de rôle complexe, dont elles ne maîtrisent pas toujours les conséquences anxiogènes (effets de la surexposition médiatique et de la mise en scène manichéenne du message), ces « résistantes franco-algériennes » viennent parfois renforcer, malgré elles, les peurs et les fantasmes de la société française à l’égard de l’objet « islam ».
Cependant, force est de constater que ces « résistantes de la première heure » à l’obscurantisme sont aujourd’hui, en grande partie, éclipsées sur le plan médiatique par les « nouvelles martyres de l’islam(isme) » qui, plus jeunes –elles sont nées dans les années 1960 -, plus « sexy » au sens médiatique du terme, elles sont nettement plus virulentes et surtout plus caricaturales dans leur dénonciation : leur discours sur l’islam empreinte souvent les chemins de l’essentialisme racialisant, au point de tomber dans une « islamophobie » à peine voilée.
Parmi elles, les écrivaines et essayistes Latifa Ben Mansour[4], Malika Mokeddem[5] ou Khalida Messaoudi (actuelle ministre de la culture en Algérie)[6] sont devenues, à l’horizon des années 1990, les figures emblématiques de cette « nouvelle » résistance franco-algérienne à la tentation obscurantiste. Désormais, les victimes ne sont plus silencieuses : elles prennent la parole et surtout elles écrivent pour dénoncer la « dérive fondamentaliste », sans jamais pour autant verser dans l’islamophobie haineuse.
Toutefois, leur discours n’est pas sans effet sur les consciences françaises effrayées par le spectre d’une infiltration islamiste dans le corps national. Prises dans un jeu de rôle complexe, dont elles ne maîtrisent pas toujours les conséquences anxiogènes (effets de la surexposition médiatique et de la mise en scène manichéenne du message), ces « résistantes franco-algériennes » viennent parfois renforcer, malgré elles, les peurs et les fantasmes de la société française à l’égard de l’objet « islam ».
Cependant, force est de constater que ces « résistantes de la première heure » à l’obscurantisme sont aujourd’hui, en grande partie, éclipsées sur le plan médiatique par les « nouvelles martyres de l’islam(isme) » qui, plus jeunes –elles sont nées dans les années 1960 -, plus « sexy » au sens médiatique du terme, elles sont nettement plus virulentes et surtout plus caricaturales dans leur dénonciation : leur discours sur l’islam empreinte souvent les chemins de l’essentialisme racialisant, au point de tomber dans une « islamophobie » à peine voilée.
Dernière édition par le Lun 11 Fév - 13:28, édité 1 fois
Emouvoir et séduire :
un nouveau discours compassionnel aux accents franchement islamophobes
Les nouvelles héroïnes de la lutte contre le machisme des « mâles musulmans » ne sont plus franco-algériennes ou franco-tunisiennes comme leurs devancières, dans la mesure où l’internationalisation de la « menace islamique » a aussi favorisé une internationalisation de la mise en scène des figures féminines de la résistance à l’obscurantisme.
Elles sont désormais iraniennes (Chahdortt Djavann en France)[7], pakistanaises (Irshad Manji au Canada)[8] ou somaliennes (Ayaan Hirsi Ali aux Pays-Bas)[9] et répondent aussi très largement à une certaine forme d’esthétisme médiatique : loin de correspondre à l’image de la « femme d’expérience » que pouvaient véhiculer les héroïnes franco-algériennes, ces « nouvelles martyres » renvoient d’abord à une image de sensualité et de pureté, presque innocente, sortes de Madones des temps modernes.
Leur discours de dénonciation joue très largement sur les registres émotionnel et compassionnel, excluant de facto de toute possibilité de critique « objective » (les intellectuels occidentaux seraient des « inconscients » ou, pire, des « complices », de l’islamisme), comme le prétend Chahdortt Djavann :
« J’avais treize ans quand la loi islamique s’est imposée en Iran sous la férule de Khomeiny rentré de France avec la bénédiction de beaucoup d’intellectuels français. Une fois encore, ces derniers avaient décidé pour les autres de ce que devaient être leur liberté et leur avenir.
Une fois encore, ils s’étaient répandus en leçons de morale et en conseils politiques. Une fois encore, ils n’avaient rien vu venir, ils n’avaient rien compris. Une fois encore, ils avaient tout oublié et, forts de leurs erreurs passées, s’apprêtaient à observer impunément les épreuves subies par les autres, à souffrir par procuration, quitte à opérer, le moment venu, quelques révisions déchirantes qui n’entameraient toutefois ni leur bonne conscience ni leur superbe »[10].
La somalo-néerlandaise Ayaan Hirsi Ali, surnommée par certains médias la « Voltaire noire », développe une volonté identique de jouer sur la culpabilisation des « intellectuels occidentaux » :
« Ma critique de la religion et de la culture islamiques, écrit-elle, est parfois reçue comme une offense. Dans les faits, l’attitude des tenants du relativisme culturel est beaucoup plus dure, plus offensante et plus blessante. Eux se sentent supérieurs, considérant les musulmans comme ‘l’autre’ que l’on doit ménager. Ils pensent qu’il vaut mieux éviter de critiquer l’islam, parce qu’ils craignent la rage des musulmans. Bien qu’ils soient prétendument des libéraux, on constate qu’ils n’aident pas les musulmans à suivre l’appel au civisme qui nous a été lancé »[11].
Jusqu’à là, leurs propos paraissent « relativement » nuancés. Mais leur critique radicale de l’islam et des musulmans dérive très vite vers une forme d’essentialisme (islam par essence maléfique), voire de racisme à peine voilé, qui aboutit à faire de la religion musulmane une substance éternelle et irréformable et à présenter les hommes musulmans comme des « animaux religieux », violents, sexistes, barbares et incapables de contrôler leurs pulsions sexuelles.
Ainsi, Ayaan Hirsi Ali n’hésite pas à comparer les mâles musulmans à des boucs (sic) :
« Dans l’islam, l’homme est représenté comme ce bouc. S’il voit une femme découverte, il lui saute dessus. Les hommes musulmans n’ont aucune raison d’apprendre à se maîtriser. Ils n’en ont pas besoin. Ils ne sont pas éduqués dans le domaine sexuel. Et la morale sexuelle est entièrement tournée vers les femmes »[12].
De son côté, Chahdortt Djavann surenchérit sur ce thème de la dépravation sexuelle des « mâles musulmans », en montrant que la prostitution, la pédophilie et l’inceste sont des produits directement dérivés de la « culture islamique » :
« Dans les pays musulmans, malgré le voile des femmes, le viol et la prostitution font des ravages. La pédophilie y est très répandue car si la relation sexuelle, non conjugale, entre deux adultes consentants est interdite et sévèrement sanctionnée par les lois islamiques, aucune loi ne protège les enfants. Il y a suffisamment d’enfants abandonnés à eux-mêmes, dans ces pays, pour faire les frais des besoins sexuels urgents des hommes »[13].
En somme, les musulmans sont renvoyés majoritairement à un statut de quasi débiles mentaux et d’obsédés sexuels (l’image du bouc en rut, du violeur et du pédophile en puissance), qu’il conviendrait donc d’éduquer ou, plutôt, de rééduquer à marche forcée, comme le laissent à penser les écrits de la pakistano-canadienne, Irshad Manji :
« J’ai résumé mon défi de la manière suivante à mes camarades musulmans : allons-nous rester spirituellement infantiles, enchaînés à des attentes de conformisme et de mutisme, ou bien allons-nous devenir des citoyens, capables de défendre le pluralisme des interprétations et des idées qui rend possible pour nous la pratique de l’Islam dans cette partie du monde [l’Occident] ? »[14].
Les musulmans sont des « grands enfants », c’est bien connu !
En raison de leur caractère réducteur et manichéen, de leur mise en scène érotico-esthétique, ces critiques essentialistes de l’islam et des musulmans pourraient presque prêter à sourire, si précisément elles ne faisaient pas aujourd’hui l’objet d’une diffusion et d’une médiatisation à grande échelle : Chahdortt Djavann, Ayaan Hirsi Ali et Irshad Manji sont devenues de véritables icônes de l’universalisme occidental en lutte contre l’obscurantisme musulman, reçues sur tous les plateaux de télévision, écoutées des institutions officielles du monde « civilisé » et récompensées par de très nombreux prix des « droits de l’homme ».
Les nouvelles héroïnes de la lutte contre le machisme des « mâles musulmans » ne sont plus franco-algériennes ou franco-tunisiennes comme leurs devancières, dans la mesure où l’internationalisation de la « menace islamique » a aussi favorisé une internationalisation de la mise en scène des figures féminines de la résistance à l’obscurantisme.
Elles sont désormais iraniennes (Chahdortt Djavann en France)[7], pakistanaises (Irshad Manji au Canada)[8] ou somaliennes (Ayaan Hirsi Ali aux Pays-Bas)[9] et répondent aussi très largement à une certaine forme d’esthétisme médiatique : loin de correspondre à l’image de la « femme d’expérience » que pouvaient véhiculer les héroïnes franco-algériennes, ces « nouvelles martyres » renvoient d’abord à une image de sensualité et de pureté, presque innocente, sortes de Madones des temps modernes.
Leur discours de dénonciation joue très largement sur les registres émotionnel et compassionnel, excluant de facto de toute possibilité de critique « objective » (les intellectuels occidentaux seraient des « inconscients » ou, pire, des « complices », de l’islamisme), comme le prétend Chahdortt Djavann :
« J’avais treize ans quand la loi islamique s’est imposée en Iran sous la férule de Khomeiny rentré de France avec la bénédiction de beaucoup d’intellectuels français. Une fois encore, ces derniers avaient décidé pour les autres de ce que devaient être leur liberté et leur avenir.
Une fois encore, ils s’étaient répandus en leçons de morale et en conseils politiques. Une fois encore, ils n’avaient rien vu venir, ils n’avaient rien compris. Une fois encore, ils avaient tout oublié et, forts de leurs erreurs passées, s’apprêtaient à observer impunément les épreuves subies par les autres, à souffrir par procuration, quitte à opérer, le moment venu, quelques révisions déchirantes qui n’entameraient toutefois ni leur bonne conscience ni leur superbe »[10].
La somalo-néerlandaise Ayaan Hirsi Ali, surnommée par certains médias la « Voltaire noire », développe une volonté identique de jouer sur la culpabilisation des « intellectuels occidentaux » :
« Ma critique de la religion et de la culture islamiques, écrit-elle, est parfois reçue comme une offense. Dans les faits, l’attitude des tenants du relativisme culturel est beaucoup plus dure, plus offensante et plus blessante. Eux se sentent supérieurs, considérant les musulmans comme ‘l’autre’ que l’on doit ménager. Ils pensent qu’il vaut mieux éviter de critiquer l’islam, parce qu’ils craignent la rage des musulmans. Bien qu’ils soient prétendument des libéraux, on constate qu’ils n’aident pas les musulmans à suivre l’appel au civisme qui nous a été lancé »[11].
Jusqu’à là, leurs propos paraissent « relativement » nuancés. Mais leur critique radicale de l’islam et des musulmans dérive très vite vers une forme d’essentialisme (islam par essence maléfique), voire de racisme à peine voilé, qui aboutit à faire de la religion musulmane une substance éternelle et irréformable et à présenter les hommes musulmans comme des « animaux religieux », violents, sexistes, barbares et incapables de contrôler leurs pulsions sexuelles.
Ainsi, Ayaan Hirsi Ali n’hésite pas à comparer les mâles musulmans à des boucs (sic) :
« Dans l’islam, l’homme est représenté comme ce bouc. S’il voit une femme découverte, il lui saute dessus. Les hommes musulmans n’ont aucune raison d’apprendre à se maîtriser. Ils n’en ont pas besoin. Ils ne sont pas éduqués dans le domaine sexuel. Et la morale sexuelle est entièrement tournée vers les femmes »[12].
De son côté, Chahdortt Djavann surenchérit sur ce thème de la dépravation sexuelle des « mâles musulmans », en montrant que la prostitution, la pédophilie et l’inceste sont des produits directement dérivés de la « culture islamique » :
« Dans les pays musulmans, malgré le voile des femmes, le viol et la prostitution font des ravages. La pédophilie y est très répandue car si la relation sexuelle, non conjugale, entre deux adultes consentants est interdite et sévèrement sanctionnée par les lois islamiques, aucune loi ne protège les enfants. Il y a suffisamment d’enfants abandonnés à eux-mêmes, dans ces pays, pour faire les frais des besoins sexuels urgents des hommes »[13].
En somme, les musulmans sont renvoyés majoritairement à un statut de quasi débiles mentaux et d’obsédés sexuels (l’image du bouc en rut, du violeur et du pédophile en puissance), qu’il conviendrait donc d’éduquer ou, plutôt, de rééduquer à marche forcée, comme le laissent à penser les écrits de la pakistano-canadienne, Irshad Manji :
« J’ai résumé mon défi de la manière suivante à mes camarades musulmans : allons-nous rester spirituellement infantiles, enchaînés à des attentes de conformisme et de mutisme, ou bien allons-nous devenir des citoyens, capables de défendre le pluralisme des interprétations et des idées qui rend possible pour nous la pratique de l’Islam dans cette partie du monde [l’Occident] ? »[14].
Les musulmans sont des « grands enfants », c’est bien connu !
En raison de leur caractère réducteur et manichéen, de leur mise en scène érotico-esthétique, ces critiques essentialistes de l’islam et des musulmans pourraient presque prêter à sourire, si précisément elles ne faisaient pas aujourd’hui l’objet d’une diffusion et d’une médiatisation à grande échelle : Chahdortt Djavann, Ayaan Hirsi Ali et Irshad Manji sont devenues de véritables icônes de l’universalisme occidental en lutte contre l’obscurantisme musulman, reçues sur tous les plateaux de télévision, écoutées des institutions officielles du monde « civilisé » et récompensées par de très nombreux prix des « droits de l’homme ».
Dernière édition par le Lun 11 Fév - 13:33, édité 1 fois
Quelques mots sur « notre ministrette »
... des territoires perdus de la République : un exotisme davantage misérabiliste qu’érotique
C’est notamment à notre secrétaire d’Etat à la Ville, Fadela Amara, que l’on doit la vulgarisation et le succès, ces dernières années, de la formule du « fascisme vert » pour désigner non seulement les associations musulmanes de quartiers mais aussi (et surtout) les jeunes filles françaises portant le hijab. En 2003, devant la Commission Stasi, Fadéla Amara déclarait ainsi :
« Ce qui m’inquiète aujourd’hui, et surtout en tant que femme, c’est que ce ne sont plus ces jeunes là que nous retrouvons dans ces mouvances, même si ça reste encore un terreau, mais ce sont des garçons et des filles qui ont des bacs +5 et +10 et qui aujourd’hui sont pour moi, je l’explique très bien et je le dis régulièrement, des soldats et des soldates du fascisme vert. Vert, bien évidemment pour la couleur de l’islam »[15].
On peut le constater : l’amalgame entre « radicalisme islamique » et « pratique de l’islam » n’est jamais très loin, et produit d’autant plus d’efficacité persuasive qu’il est véhiculé par une jeune fille française, revendiquant explicitement son appartenance à la religion musulmane (« je suis musulmane » aime t-elle à rappeler aux journalistes).
Le théorème du docteur ès « Ni Putes Ni Soumises » (diplôme « Bac moins 10 » pour filles de banlieues reconnu par la République) est simple, voire simpliste : plus les filles musulmanes pratiquantes et voilées sont diplômées, plus elles sont supposées être dangereuses et perverses.
Certes, ici c’est le moins critère érotique ou esthétique qui joue pleinement que celui du misérabilisme à l’égard d’une supposée « Beurette méritante » : Fadéla Amara incarne davantage une sorte de Cossette du XXIe siècle, venue de sa province kabylo-auvergnate, habillée en jean, mâchant du chewing-gum et au langage châtier (« dégueulasse », « Bella Foumouk », « ferme ta gueule »…) , comme si les femmes issues des quartiers populaires devaient nécessairement correspondre à ce cliché ministériel et à ce fantasme élyséen de la « Beurette inculte ».C’est méprisant de considérer qu’une femme française d’origine maghrébine issue des quartiers doive obligatoirement parler vulgairement pour exister politiquement. Exister politiquement, c’est exister vulgairement ? Etre grossière pour amuser le « petit homme blanc », président de la République ? Promotion scolaire « Bella Foumouk », un nouveau diplôme bientôt reconnu par le ministère de l’Education nationale ? Quelle condescendance ! Fadéla Amara que Nicolas Sarkozy n’hésite d’ailleurs pas à communautariser en la qualifiant de « ministre musulmane » de son gouvernement.
Mais ne nous y trompons pas : la symbolique sexuelle et érotique n’est pas complètement absente du personnage Amara : à la tête des Ni Putes Ni Soumises, Fadéla Amara apparaissait (et apparaît toujours) aux yeux de nos politiciens mâles, grisonnants et bedonnants, comme la « grande sœur sacrifiée » (celle de la famille qu’on n’est pas parvenu à marier) à la tête d’une tribu de petites beurettes émancipées, « fraîches », « désirables » et donc « prenables » (à tous les sens du terme) par nos chers mâles blancs qui peuplent les assemblées politiques et les cabinets ministériels.
C’est notamment à notre secrétaire d’Etat à la Ville, Fadela Amara, que l’on doit la vulgarisation et le succès, ces dernières années, de la formule du « fascisme vert » pour désigner non seulement les associations musulmanes de quartiers mais aussi (et surtout) les jeunes filles françaises portant le hijab. En 2003, devant la Commission Stasi, Fadéla Amara déclarait ainsi :
« Ce qui m’inquiète aujourd’hui, et surtout en tant que femme, c’est que ce ne sont plus ces jeunes là que nous retrouvons dans ces mouvances, même si ça reste encore un terreau, mais ce sont des garçons et des filles qui ont des bacs +5 et +10 et qui aujourd’hui sont pour moi, je l’explique très bien et je le dis régulièrement, des soldats et des soldates du fascisme vert. Vert, bien évidemment pour la couleur de l’islam »[15].
On peut le constater : l’amalgame entre « radicalisme islamique » et « pratique de l’islam » n’est jamais très loin, et produit d’autant plus d’efficacité persuasive qu’il est véhiculé par une jeune fille française, revendiquant explicitement son appartenance à la religion musulmane (« je suis musulmane » aime t-elle à rappeler aux journalistes).
Le théorème du docteur ès « Ni Putes Ni Soumises » (diplôme « Bac moins 10 » pour filles de banlieues reconnu par la République) est simple, voire simpliste : plus les filles musulmanes pratiquantes et voilées sont diplômées, plus elles sont supposées être dangereuses et perverses.
Certes, ici c’est le moins critère érotique ou esthétique qui joue pleinement que celui du misérabilisme à l’égard d’une supposée « Beurette méritante » : Fadéla Amara incarne davantage une sorte de Cossette du XXIe siècle, venue de sa province kabylo-auvergnate, habillée en jean, mâchant du chewing-gum et au langage châtier (« dégueulasse », « Bella Foumouk », « ferme ta gueule »…) , comme si les femmes issues des quartiers populaires devaient nécessairement correspondre à ce cliché ministériel et à ce fantasme élyséen de la « Beurette inculte ».C’est méprisant de considérer qu’une femme française d’origine maghrébine issue des quartiers doive obligatoirement parler vulgairement pour exister politiquement. Exister politiquement, c’est exister vulgairement ? Etre grossière pour amuser le « petit homme blanc », président de la République ? Promotion scolaire « Bella Foumouk », un nouveau diplôme bientôt reconnu par le ministère de l’Education nationale ? Quelle condescendance ! Fadéla Amara que Nicolas Sarkozy n’hésite d’ailleurs pas à communautariser en la qualifiant de « ministre musulmane » de son gouvernement.
Mais ne nous y trompons pas : la symbolique sexuelle et érotique n’est pas complètement absente du personnage Amara : à la tête des Ni Putes Ni Soumises, Fadéla Amara apparaissait (et apparaît toujours) aux yeux de nos politiciens mâles, grisonnants et bedonnants, comme la « grande sœur sacrifiée » (celle de la famille qu’on n’est pas parvenu à marier) à la tête d’une tribu de petites beurettes émancipées, « fraîches », « désirables » et donc « prenables » (à tous les sens du terme) par nos chers mâles blancs qui peuplent les assemblées politiques et les cabinets ministériels.
Dernière édition par le Lun 11 Fév - 13:42, édité 2 fois
Sous le voile de l’émancipation,
un sexisme et un racisme qui ne veulent pas dire leur nom
Ce qui est terrible dans cette nouvelle effervescence médiatique autour des « nouvelles martyres de l’islam », c’est qu’au nom des valeurs universalistes et de l’émancipation féminine, on parvient à conforter des préjugés à la fois racistes et sexistes, les deux registres étant étroitement liés et imbriqués.
Comme le rappellent très justement les sociologues Véronique De Rudder et François Vurc’H, « la force de l’ordre social raciste, dans les sociétés dites libérales telles que celles dans lesquelles nous vivons, n’est pas de se substituer aux ordres sociaux classiste et/ou sexiste, mais de s’y articuler. Ces modes de classement et de hiérarchisation se soutiennent en fait les autres aux autres [….] »[16].
Nous sommes bien en présence d’un « racisme sexué » et d’un « sexisme racialisant » qui visent à renvoyer les descendantes des migrations post-coloniales à des statuts discriminants et à des formes d’assignation communautaire : la musulmane émancipée versus la musulmane dominée, la musulmane modérée versus la musulmane fanatique ou, pire encore, la musulmane « prenable » versus la musulmane tribale.
Il ne s’agit pas de nier le machisme, le sexisme et la misogynie d’Etat qui existent dans de nombreux régimes autoritaires du monde arabo-musulman, phénomènes qui sont confortés et institutionnalisés par des codes de statut personnel, des codes de la famille ou des Moudawana patriarcaux, y compris dans des pays comme la Tunisie qui savent jouer de l’ambivalence permanente : un féminisme d’Etat qui cache mal les profondes inégalités entre hommes et femmes, et les mauvais traitements que subissent ces dernières[17].
Les féministes engagées ont parfaitement raison de dénoncer ces codes et de réclamer leur abrogation. Mais, malheureusement, on les entend rarement sur les plateaux de télévision, parce que sûrement trop « militantes » et, disons-le, pas assez « sexy ». C’est la dure réalité de cette logique du féminisme médiatique des années 2000 : Sois belle ou tais toi ! Sois sexy ou reste chez toi !
Toutefois, nous sommes en France et les citoyens(nnes) de religion ou simplement de « culture » musulmane ne vivent pas dans la nostalgie du maintien ou de l’importation des codes de statut personnel des pays d’origine. Invoquer les images d’Afghanistan, d’Iran ou d’Arabie Saoudite ou même d’Algérie, pour mettre en défaut et culpabiliser les nombreuses femmes françaises qui se revendiquent aujourd’hui « musulmanes » est non seulement une provocation mais aussi une atteinte à leur dignité de femmes et de citoyennes françaises.
Ce qui est terrible dans cette nouvelle effervescence médiatique autour des « nouvelles martyres de l’islam », c’est qu’au nom des valeurs universalistes et de l’émancipation féminine, on parvient à conforter des préjugés à la fois racistes et sexistes, les deux registres étant étroitement liés et imbriqués.
Comme le rappellent très justement les sociologues Véronique De Rudder et François Vurc’H, « la force de l’ordre social raciste, dans les sociétés dites libérales telles que celles dans lesquelles nous vivons, n’est pas de se substituer aux ordres sociaux classiste et/ou sexiste, mais de s’y articuler. Ces modes de classement et de hiérarchisation se soutiennent en fait les autres aux autres [….] »[16].
Nous sommes bien en présence d’un « racisme sexué » et d’un « sexisme racialisant » qui visent à renvoyer les descendantes des migrations post-coloniales à des statuts discriminants et à des formes d’assignation communautaire : la musulmane émancipée versus la musulmane dominée, la musulmane modérée versus la musulmane fanatique ou, pire encore, la musulmane « prenable » versus la musulmane tribale.
Il ne s’agit pas de nier le machisme, le sexisme et la misogynie d’Etat qui existent dans de nombreux régimes autoritaires du monde arabo-musulman, phénomènes qui sont confortés et institutionnalisés par des codes de statut personnel, des codes de la famille ou des Moudawana patriarcaux, y compris dans des pays comme la Tunisie qui savent jouer de l’ambivalence permanente : un féminisme d’Etat qui cache mal les profondes inégalités entre hommes et femmes, et les mauvais traitements que subissent ces dernières[17].
Les féministes engagées ont parfaitement raison de dénoncer ces codes et de réclamer leur abrogation. Mais, malheureusement, on les entend rarement sur les plateaux de télévision, parce que sûrement trop « militantes » et, disons-le, pas assez « sexy ». C’est la dure réalité de cette logique du féminisme médiatique des années 2000 : Sois belle ou tais toi ! Sois sexy ou reste chez toi !
Toutefois, nous sommes en France et les citoyens(nnes) de religion ou simplement de « culture » musulmane ne vivent pas dans la nostalgie du maintien ou de l’importation des codes de statut personnel des pays d’origine. Invoquer les images d’Afghanistan, d’Iran ou d’Arabie Saoudite ou même d’Algérie, pour mettre en défaut et culpabiliser les nombreuses femmes françaises qui se revendiquent aujourd’hui « musulmanes » est non seulement une provocation mais aussi une atteinte à leur dignité de femmes et de citoyennes françaises.
Du hammam colonial au harem républicain :
une répudiation machiste sous couvert de féminisme
Sous les apparences de l’émancipation, cette stigmatisation positive et négative des femmes musulmanes françaises, croyantes ou non, est aussi une forme de « répudiation machiste » de l’espace citoyen, qu’il convient de dénoncer, sans céder à la tentation de l’érotisme victimaire qui envahit désormais tous nos écrans.
L’homme français du XXIe siècle doit arrêter de se projeter comme l’émancipateur en puissance de la « femme musulmane », que celle-ci porte voile ou pas, la réduisant à n’être finalement qu’un objet de ses fantasmes sexuels et pulsions érotisantes.
Il est clair que des Philippe Val, Robert Redeker, Pascal Bruckner et « BHL company » devront accomplir un immense effort intellectuel, voire psychologique, une rupture quasi mentale, pour arrêter de se penser comme les souteneurs et les protecteurs naturels des « nouvelles martyres » de l’islam mondial et autres « musulmans des Lumières » persécutés par les « méchants prédicateurs ».
Mais y ont-ils intérêt ? Non pas vraiment, car ils perdraient probablement alors leur fond de commerce médiatique. L’érotisme victimaire a donc encore de beaux jours devant lui et les amateurs assoiffés de « petites beurettes martyrisées » une présence assurée pendant de longues années sur les plateaux TV.
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[1] Nacira GUENIF-SOULIMAS, Eric MACE, Les féministes et le garçon arabe, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2004.
[2] Ahmed Koulakssis, Le Parti socialiste et l’Afrique du Nord de Jaurès à Blum, Armand Colin, Paris, 1991, p. 275.
[3] Christophe DELOIRE, Christophe DUBOIS, Les islamistes sont déjà là. Enquête sur une guerre secrète, Paris, Albin Michel, 2004.
[4] Latifa BEN MANSOUR, La prière de la peur, Paris, Le Différence, 1997 ; Frères musulmans, frères féroces. Voyage dans l’enfer du discours islamiste, Paris, Ramsay, 2002 ; Les mensonges des intégristes, Paris, Editions du Rocher, 2004.
[5] Malika MOKEDDEM, Des rêves et des assassins, Paris, Grasset, 1995 ; L’interdite, Paris, LGF, « Le Livre de Poche », 1995 ; La transe des insoumis, Paris, LGF, « Le Livre de Poche », 2005.
[6] Khalida MESSAOUDi, Une Algérienne debout. Entretiens avec Elisabeth Schemla, Paris, Flammarion, « Témoignage », 1999.
[7] Chahdortt DJAVANN est née en 1967 en Iran. Elle est arrivée en France en 1993. Elle est l’auteure de Bas les voiles !, Paris, Gallimard, 2003.
[8] Irshad MANJI est née en 1968. Elle est arrivée au Canada en 1972. Surnommée la « refuznik de l’islam », elle est l’auteure de nombreux essais, dont Musulmane mais libre, Paris, Grasset, coll. « Le Livre de Poche », 2003.
[9] Ayaan HIRSI ALI est née en 1969. Elle est arrivée aux Pays-Bas au début des années 1990. Elle est l’auteure de Insoumise, Paris, Pocket, 2005.
[10] Chahdortt DJAVANN, Bas les voiles !, op. cit., p. 8.
[11] Ayaan HIRSI ALI, Insoumise, op. cit.,p. 13.
[12] Ayaan HIRSI ALI, Insoumise, op. cit., 103.
[13] Chahdortt DJAVANN, Bas les voiles !, op. cit., p. 17.
[14] Irshad MANJI, Musulmane mais libre, op. cit.,p. 71.
[15] Fadela AMARA, « Audition devant la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République (« Commission Stasi ») », 16 novembre 2003.
[16] Véronique DE RUDDER, François VOURC’H, « Ordre social raciste, classisme et sexisme », Migrations Société, n° 105-106, mai-août 2006, p. 126.
[17] Olfa LAMLOUM, Luiza TOSCANE, « Les femmes, alibi du pouvoir tunisien », Le Monde diplomatique, juin 1998.
Vincent Geisser
Politologue, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (CNRS), enseigne à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence.
Dernier ouvrage paru : Marianne et Allah, Editions La Découverte (15 mars 2007)
http://www.oumma.com/Les-poupees-Barbie-de-l-Islam
Sous les apparences de l’émancipation, cette stigmatisation positive et négative des femmes musulmanes françaises, croyantes ou non, est aussi une forme de « répudiation machiste » de l’espace citoyen, qu’il convient de dénoncer, sans céder à la tentation de l’érotisme victimaire qui envahit désormais tous nos écrans.
L’homme français du XXIe siècle doit arrêter de se projeter comme l’émancipateur en puissance de la « femme musulmane », que celle-ci porte voile ou pas, la réduisant à n’être finalement qu’un objet de ses fantasmes sexuels et pulsions érotisantes.
Il est clair que des Philippe Val, Robert Redeker, Pascal Bruckner et « BHL company » devront accomplir un immense effort intellectuel, voire psychologique, une rupture quasi mentale, pour arrêter de se penser comme les souteneurs et les protecteurs naturels des « nouvelles martyres » de l’islam mondial et autres « musulmans des Lumières » persécutés par les « méchants prédicateurs ».
Mais y ont-ils intérêt ? Non pas vraiment, car ils perdraient probablement alors leur fond de commerce médiatique. L’érotisme victimaire a donc encore de beaux jours devant lui et les amateurs assoiffés de « petites beurettes martyrisées » une présence assurée pendant de longues années sur les plateaux TV.
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[1] Nacira GUENIF-SOULIMAS, Eric MACE, Les féministes et le garçon arabe, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2004.
[2] Ahmed Koulakssis, Le Parti socialiste et l’Afrique du Nord de Jaurès à Blum, Armand Colin, Paris, 1991, p. 275.
[3] Christophe DELOIRE, Christophe DUBOIS, Les islamistes sont déjà là. Enquête sur une guerre secrète, Paris, Albin Michel, 2004.
[4] Latifa BEN MANSOUR, La prière de la peur, Paris, Le Différence, 1997 ; Frères musulmans, frères féroces. Voyage dans l’enfer du discours islamiste, Paris, Ramsay, 2002 ; Les mensonges des intégristes, Paris, Editions du Rocher, 2004.
[5] Malika MOKEDDEM, Des rêves et des assassins, Paris, Grasset, 1995 ; L’interdite, Paris, LGF, « Le Livre de Poche », 1995 ; La transe des insoumis, Paris, LGF, « Le Livre de Poche », 2005.
[6] Khalida MESSAOUDi, Une Algérienne debout. Entretiens avec Elisabeth Schemla, Paris, Flammarion, « Témoignage », 1999.
[7] Chahdortt DJAVANN est née en 1967 en Iran. Elle est arrivée en France en 1993. Elle est l’auteure de Bas les voiles !, Paris, Gallimard, 2003.
[8] Irshad MANJI est née en 1968. Elle est arrivée au Canada en 1972. Surnommée la « refuznik de l’islam », elle est l’auteure de nombreux essais, dont Musulmane mais libre, Paris, Grasset, coll. « Le Livre de Poche », 2003.
[9] Ayaan HIRSI ALI est née en 1969. Elle est arrivée aux Pays-Bas au début des années 1990. Elle est l’auteure de Insoumise, Paris, Pocket, 2005.
[10] Chahdortt DJAVANN, Bas les voiles !, op. cit., p. 8.
[11] Ayaan HIRSI ALI, Insoumise, op. cit.,p. 13.
[12] Ayaan HIRSI ALI, Insoumise, op. cit., 103.
[13] Chahdortt DJAVANN, Bas les voiles !, op. cit., p. 17.
[14] Irshad MANJI, Musulmane mais libre, op. cit.,p. 71.
[15] Fadela AMARA, « Audition devant la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République (« Commission Stasi ») », 16 novembre 2003.
[16] Véronique DE RUDDER, François VOURC’H, « Ordre social raciste, classisme et sexisme », Migrations Société, n° 105-106, mai-août 2006, p. 126.
[17] Olfa LAMLOUM, Luiza TOSCANE, « Les femmes, alibi du pouvoir tunisien », Le Monde diplomatique, juin 1998.
Vincent Geisser
Politologue, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (CNRS), enseigne à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence.
Dernier ouvrage paru : Marianne et Allah, Editions La Découverte (15 mars 2007)
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